• Chapitre 23

    Je descends une à une les marches de l’escalier, j’essaye de faire le moins de bruit possible. J’entends la voix de Célia qui donne des ordres à chaque employé qui traverse son champ de vision. Je soupire et faits signe à Alexandre et Sophie de se taire. Nous contournons la zone de danger et finissons par arriver dans le jardin. Il est assez grand, de nombreuses tables et décorations sont installées. Je prends une chaise tandis qu’Alexandre et Sophie font de même. Nous nous asseyons.
    - Je n’aime pas du tout l’allure de tout cela, marmonnai-je
    - C’est assez jolie, répondit Sophie
    - Je ne comprends pas ton point de vue, c’est pourtant si jolie, ironisa Alexandre
    - Oui bien sûr, un véritable décor de rêve. Je déteste ce genre de réunion mondaine. Tout n’est que tromperie chacun porte un masque. Quelle journée de rêve.
    - Combien de temps avant le début de la bataille, me demande Alexandre, et bien sûr avec ta précision légendaire.
    - Oh demandé si gentiment je ne peux que répondre, il reste encore cinquante-six minutes Trente-trois secondes.
    - Que vous êtes déprimants vous deux, dit Sophie
    - Eh bien si ça t’amuses je te laisse ma place. Je suis sûr que Célia appréciera plus un faire-valoir comme toi que comme moi.
    - Tout de suite les grands mots, tu n’es pas un faire-valoir.
    - A tes yeux peut-être mais pas aux siens. Si je suis ici pour rencontrer ses « amis » alors il y a forcément anguille sous roche. De plus je ne suis pas vraiment le stéréotype de la fille parfaite.
    - Alors prouve-lui le contraire. Endosse le masque de la fille parfaite.
    - Je n’ai vraiment pas envie de faire ce genre de chose.
    - Ne serait-ce que pour aujourd’hui, j’aimerais voir à quoi tu ressemblerais en fille modèle.
    Je soupirais :
    - Et toi tu ne dis rien, dis-je à l’attention d’Alexandre
    - J’écoute et je me tais, ce genre de chose me dépasse.
    - Très bien, j’ai compris, une journée pas plus.
    - Parfait alors tu dois te maquiller.
    - Sérieusement ?
    - Bien sûr ! Je vais tout de suite chercher le nécessaire.
    Elle part vers la maison d’un pas assuré, le sourire aux lèvres. Une fois qu’elle est hors de portée je reprends :
    - Menteur
    - De quoi parles-tu, dit-il d’un ton faussement étonné
    - Cette situation t’amusais, je me trompe ?
    Un léger sourire s’étire sur ses lèvres :
    -  J’ai hâte de voir à quoi ressembles la version enfant parfaite.
    - Je ne suis pas un automate.
    - Je n’ai pas dit ça.
    - Je ne veux pas être un spectacle pour ce genre de personnes, dis-je en balayant du bras le paysage.
    - Le retour de la dépressive. Arrête de faire cette tête tu vas finir par me faire déprimer moi aussi.
    Je n’arrive pas à esquisser le moindre sourire alors l’expression d’Alexandre devient plus sérieuse.
    - Si tu ne veux pas, alors ne te force pas. Il ne faudrait pas que tu fasses une rechute. Tu n’as pas encore passé le cap de l’acceptation, tu marches sur la frontière.
    - Et le retour du psychologue. Sinon même si ça ne me plait pas voici la raison pour laquelle je me force à faire tout ce manège, dis-je en regardant derrière lui.
    Il se tourne et ajoute :
    - Une véritable tempête contre qui on ne peut pas résister.
    Sophie arrive une pochette à la main et le sourire aux lèvres. Elle s’assoit devant moi.
    - Qu’est-ce que tu veux ?
    - Je n’y connais rien, donc je te laisse faire par contre une seule condition, si jamais cet animal se permet un commentaire je veux le relooker façon Barbie.
    - Compris, tu arriveras à te tenir ?
    - La tentation est grande… Mais j’essaierai de me tenir.
    - Alors tu peux commencer.
    Sophie sort son matériel, Alexandre sort un livre alors je ferme les yeux. Je sens les pinceaux valser sur mon visage. Je me mets à compter doucement.  Un, deux, trois… Tout est noir, tranquille et silencieux. C’est agréable pourtant je ne me laisse pas happer par ce calme et reste consciente de tous ce qui se passe autour de moi. La valse des pinceaux s’arrête, j’ouvre les yeux, Sophie me regarde :
    - Finit.
    Alexandre relève la tête, observe mon visage avant de déclarer
    - Pas mal.
    Sophie sourit fier d’elle. J’attrape un petit miroir posé à côté d’elle et j’observe le reflet quelques secondes puis le repose.
    - ça passe.
    Célia nous appelle depuis la maison, nous nous levons et la rejoignons. Le crissement des pneus sur le gravier me fait comprendre que la tranquillité de tout à l’heure et belle et bien terminé.

    Je salue les innombrables personnes qui défilent devant moi, un sourire faux aux lèvres. Aucune conversation n’est dénuée d’intérêt personnel, les hommes et les femmes se jugent en silence. Je me tiens de bout sans parler à côté de Célia, elle parle avec une femme assez grande qui a surement dû avoir recours à la chirurgie esthétique pour ne plus avoir de ride et non à son fabuleux régime à base de plante. Il y a quelques enfants aussi. Je dirais qu’ils sont sept sans nous compter Sophie, Alexandre et moi, deux primaires, trois jeunes collégiens, en 6e ou en 5e, et deux autres qui doivent avoir mon âge. Pierre et Célia doivent être en haut de l’échelle de richesse puisqu’il y a concurrence pour réussir à leur parler. Et parfois ils utilisent leurs enfants. Ils les envoient pour me parler et essayer de sympathiser avec moi en espérant que je les présente. Ils se trompent je ne suis ni amicale, ni hostile, je n’avantage personne et je ne discrédite pas non plus. Je reste de marbre et toujours un sourire faux figé sur les lèvres. Célia me touche l’épaule, je la regarde puis reporte mon attention sur son interlocutrice. Elle s’adresse à moi :
    - Comment trouves-tu ton école ?
    - Très agréable.
    Célia reprends :
    - Je vous l’avez dit, cette pension est magnifique, les cours y sont de très bonne qualité n’hésitez pas.
    - Vous m’avez convaincu je pense que je vais y inscrire mon fils. J’espère que votre fille pourra l’aider à y trouver ces marques, ce n’est pas facile d’arriver en cours d’année.
    - Mais bien-sûr, tu l’aideras n’est-ce-pas ?
    J’acquiesce. Elle est moins idiote que les autres celle-là, attaquer quand il n’y a pas de concurrence. Cependant moi ça n’arrange pas mes affaires, et j’ai un nouveau problème.
    Un rire aigu se fait entendre, je ne pensais pas entendre un rire plus snob que celui de Célia mais je me trompais, je me tourne vers cette dernière, ses traits son plus crispé que d’ordinaire. Je reviens sur la personne en question. C’est une femme de taille normale mais d’une riche vulgarité, pire que Célia. Tous ses habits doivent être chers mais sa robe est moulante et son décolleté  est excessivement plongeant. Elle s’approche un sourire triomphant aux lèvres.
    - Je m’excuse du retard, nous avons été pris dans un embouteillage.
    - Ce n’est pas un problème, répondit Célia sur le même ton de fausse amitié
    Les deux femmes se toisent, cherchant la moindre faille chez l’autre. La femme vulgaire me regarde et sourie :
    - Comme elle est charmante, est-ce ta fille ?
    - Oui ma fille adoptive.
    - Enchanté je suis Camélia.
    Je réponds sur le ton le plus poli que je connaisse,
    - Moi de même.
    - Elle est bien élevée.
    - Evidement, elle doit être digne du nom qu’elle porte.
    La colère me monte mais je ne laisse rien paraître, elle qui me reprochait mon manque d’éducation, elle s’en vante maintenant. Je me calme et me reconcentre. Camélia, observe un peu autour d’elle, puis son regard se fixe sur les instruments. Je ne réagis pas mais je pense avoir compris où elle veut en venir.
    - Ta fille sait-elle jouer d’un instrument ?
    - Mais bien-sûr, répondit Célia comme si c’était une évidence.
    - Alors pourquoi ne jouerai-t-elle pas un morceau, dit-elle en parlant plus fort que nécessaire pour que toutes les personnes présentes entendent.
    - Sans aucun problème, va t’installer au piano.
    - Quel morceau.
    - Que dis-tu du Printemps de Vivaldi, un classique, annonça Camélia
    Je me dirige vers le piano et m’assois, je réfléchis quelques instant pour me remémorer les premières notes. Et je me mets à jouer, je ne réfléchis plus. Mes mains bougent instinctivement, Célia m’avait forcé à apprendre à jouer du piano, j’avais accepté puisque jouer ne me dérangeait pas. Ma grand-mère jouait souvent du piano. Le morceau se termine, je me lève et je retourne à côté de Célia. Ma performance ne devait pas être mauvaise puisque Célia arbore un sourire triomphant et Camélia semble fulminer de rage.
    Il se fait tard les invités saluent Pierre et Célia avant de partir, je continue de sourire jusqu’à la fin. Une fois le dernier groupe parti, je quitte Célia pour rejoindre Sophie et Alexandre.


    Je suis dans ma chambre, Plume n’y est pas ou plutôt je dirais qu’elle a trouvé un coin tranquille ou dormir. Sophie et Alexandre ne sont pas là non plus, ils doivent être dans leurs chambres. Je suis fatigué, je m’affale sur le lit. Je ferme les yeux, instinctivement je me mets à compter, un, deux, trois… Je m’arrête à 532 et me relève. Je marche doucement vers ma bibliothèque, je la contemple. Mon regard s’arrête rapidement sur l’histoire d’Alice aux Pays des Merveilles, l’histoire originale, puis va se poser sur la porte. Je me dirige vers cette dernière toujours aussi doucement. Je l’ouvre et remonte le couloir jusqu’à la chambre de Sophie d’où quelques rires familiers s’en échappe. Je toque avec la même douceur que lorsque je me déplaçais, cependant le bruit reste audible puisque Sophie me crie un « Entrez » qui me vrille les tympans. Je tourne la poignée et pénètre dans la chambre. Je referme derrière moi puis observe mes deux amis.
    - On dirait un fantôme ou un zombie tellement t’as l’air claqué.
    Je souris et une vague d’énergie afflux dans tout mon être, c’est agréable :
    - La ferme ce n’est pas toi qui t’es coltiné tous ces faux-culs aujourd’hui.
    Un sourire sarcastique que je connais bien maintenant s’étire sur ses lèvres et comme d’habitude ça n’augure jamais rien de bon. Je lance un regard rapide à Sophie qui me fait bien comprendre que la situation l’amuse et qu’elle ne va pas m’aider sur ce coup là. Alexandre qui n’avait rien manqué de notre rapide échange muet commente aussitôt.
    - Inutile de chercher de l’aide tu es fait comme un rat. N’oublie pas que j’ai un gage à disposition pour toi.
    Je réplique en souriant :
    - Pas si vite, d’abord le gage appartient à Sophie, donc il ne t’appartient pas.
    Je marque un petit temps :
    - Et de deux si j’étais à ta place je ne me mettrai pas à dos la personne qui va me sauver la vie, littéralement.
    - Et en quoi ma vie serait-elle en danger ?
    Sophie dont j’ai piqué la curiosité sors de son silence et ajoute :
    - Raconte.
    - Tu ne te rappelles pas que tu dois jouer une jolie romance avec Miss Quiche.
    - C’est qui Miss Quiche ? demande Sophie
    - Notre chère Mathilde. J’aime bien ce surnom pas toi.
    - Explique-toi ? Reprend Alexandre
    - Vu que l’on a un certain libre arbitre pour la pièce tu pourrais dire que le Chapelier serait plus du genre à retourner sa veste et qu’ainsi cela coïnciderai plus avec la version originale. Mais si tu as tant envie de vivre cette romance jusqu’au bout, il ne tient qu’à toi de le dire. Par contre préviens-moi que je puisse rire à cause du ridicule de votre situation ou bien vomir à cause de quelque chose d’aussi guimauve.
    - Les filles ça aiment les trucs guimauves pourtant.
    - Sale macho. Contrairement à ce que l’on pourrait croire c’est Sophie qui a répliqué le plus vite me coupant ainsi l’herbe sous le pied.
    - Règle numéro un avec les filles, préparez-vous avant de vous aventurez en territoire hostile surtout s’il s’agit des clichés.
    - Tu l’as fait exprès.
    - Bien sûr que non, comment pouvais-je savoir que tu allais réagir de façon aussi stupide. Dis-je d’un ton faussement outré.
    - Et même si elle avait prévu un piège, tu as le choix d’y tomber ou non. Le point est pour elle.
    Mes deux amis se remettent à parler entre eux sur un sujet qui m’échappe à cause de la fatigue.
    - Je suis complétement épuisé je vais me coucher.
    Je leur fais un petit signe de la main et retourne dans ma chambre.


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